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Nous pensons à la terre
Que nous fuyons toujours,
À notre vieille mère,
À nos jeunes amours ;
Mais la vague légère
Avec son doux refrain
Endort notre chagrin.
~~~
Quand cesseront-ils ?
Des gouttes de sueur froide perlaient sur le front de Morgane. Enfouie sous les couvertures, elle fixait les ténèbres d'un œil dérouté ; ces réveils soudains, agités, elle les connaissait bien, mais elle ne s'y était jamais habituée.
Alors elle restait là, immobile, reprenant doucement ses esprits…
Le cauchemar s'effaçait peu à peu, laissant dans son sillage une trainée d'idées noires, et un petit quelque chose qui lui serrait fort la gorge, et faisait se presser les larmes au coin de ses yeux…
C'était une image terrible qu'elle oubliait au bout de quelques minutes, sans même avoir eu le temps de lui dire "à la prochaine". Toujours la même. Toujours cette vision de cadavre.
Une femme en très mauvais état, à moitié nue, ensanglantée et livide, sur les pavés sales du port de Minato. Des cris d'épouvante autour, des chuchotements… Et elle, qui se tenait debout devant ce triste spectacle, comme paralysée.
Les larmes refusaient de couler, elles restaient suspendues à ses cils. Elles séchaient avec le sel qui collait à sa peau. Ses petits poings d'enfants étaient fermés ; elle y plantait ses ongles avec férocité… Et elle se réveillait, d'un coup ; de longues marques rouges striaient alors ses paumes. Elle se sentait idiote.
Le sommeil parti, toujours immobile, Morgane se remémorait alors son enfance, sans pour autant savoir pourquoi. Ou du moins… Sans pour autant en avoir envie.
D'abord des paroles, la voix de sa mère, celle de son père… Puis des images, et des scènes complètes.
Elle se rappelait tout d'abord la première fois qu'elle avait mis les pieds dans l'eau. On disait souvent que c'était le premier souvenir d'un Atlante.
Le contact de cette dernière sur sa peau avait été si délicieux, si naturel qu'elle ne pourrait sans doute jamais l'oublier… C'était comme… Comme si elle avait toujours vécu dans l'eau. Sans doute un sentiment que tous ses semblables partageaient. Sa mère, qui veillait sur elle d'un œil attendri, riait doucement, tandis que son père jouait l'indifférent mais versait certainement une petite larme d'émotion de son côté. Les Atlantes n'apprenaient pas à nager ; c'était inné, chez eux. Aussi, Morgane se souvenait avoir rejoint sa grande sœur, qui batifolait joyeusement non loin de là. Elles avaient joué ensemble toute l'après-midi, profitant du temps idéal qu'offrait le plus souvent Niinamu.
Les yeux d'Elvire, ce jour-là, brillaient des mille couleurs de l'océan ; elle avait ceux de leur père, d'un bleu profond dans lequel on se perdait. Ils avaient toujours été magnifiques, sans doute les plus beaux que Morgane ait vus de sa vie. Et cette lueur intrépide ne s'était à aucun moment amoindrie. Elle avait toujours été une jeune femme libre, courageuse et aventureuse… Un exemple sans doute pour la petite fille qu'elle était à cette époque ; sa source d'inspiration.
La jeune femme se souvenait alors de leur maison ; c'était une habitation qu'occupaient traditionnellement les pêcheurs, et dont ils héritaient de génération en génération. En bois brun, elle pouvait paraître rustique, mais Morgane se rappelait au combien elle s'y sentait à sa place : l'odeur familière que ramenait chaque soir son père de l'extérieur, une odeur de poisson, de mer et d'aventure ; cette vue directe sur l'océan qu'elle avait depuis la chambre qu'elle avait toujours partagée avec sa sœur...
Il y avait quelques livres dans une vieille étagère toute rabougrie. De temps à autre, Elvire, qui était allée à l'école jusqu'à ses quatorze ans, en prenait un et lui lisait de vieux contes pour enfant. Elles s'asseyaient toutes les deux sur le lit dans lequel elles dormaient ensemble, et se perdaient entre les pages, rêvant d'une vie fantastique, loin des côtes, loin de tout.
Leur mère n'appréciait que très peu leurs envies d'escapade, et leur contait souvent les dangers qui peuplaient le monde. Elle aimait réciter des histoires effrayantes d'enfants qui finissaient dévorés par des créatures sauvages, de marins disparus en mer, sans doute entrainés dans les abysses par des poulpes géants et destructeurs… Leur père, quant à lui, répétait souvent que les femmes n'avaient pas leur place à bord d'un navire, qu'elles n'étaient pas assez forte pour endurer les tourments de l'océan. Elvire le contredisait presque à chaque fois, et, forte tête, parvenait parfois à emporter les débats, qui recommençaient le soir suivant, indéfiniment.
C'était des discussions répétitives et familières, qui finissaient par faire rire l'enfant qu'était Morgane ; elle se taisait, tout au bout de la table où ils prenaient tous les quatre leur repas, et assistait à ces joutes verbales endiablées, un petit air sérieux figé sur son visage d'enfant.
Petite, elle était moins téméraire que sa grande sœur. Une réserve naturelle qui l'empêchait d'aborder les passants aussi facilement qu'elle le faisait aujourd'hui. À Minato, pourtant, rares étaient ceux qui ne connaissaient pas la famille Beemer. C'était une lignée d'Atlante qui avait longtemps eu le monopole de la pêche dans la région, mais qui, peu à peu, avait perdu de sa superbe pour redevenir tout à fait banale, frôlant le seuil de pauvreté. Cette gloire perdue, son père la portait toujours dans son cœur ; elle se manifestait par un manque de modestie conséquent qui agaçait tout particulièrement ses collègues. On ne l'aimait pas ; on redoutait d'ailleurs ses moments de colère intempestifs qui apparaissaient après avoir bu quelques verres d'alcool. Le père Beemer était loin d'être un agneau, contrairement à sa femme, que beaucoup appréciaient pour sa droiture et sa générosité.
Leurs deux filles, par contre, se trouvaient être chouchoutées par la plupart des pêcheurs de la ville. On les trouvait mignonnes, drôles et intelligentes, et contrairement aux aprioris de leur père, on prédisait un bel avenir à Elvire, qui manifestait un véritable sens du commerce et de nombreuses aptitudes pour la navigation.
Morgane, elle, se souvenait avoir redouté le départ de sa sœur, qui alors qu'elle avait dix ans, était l'une de ses seules camarades. Son entrée à l'école changea la donne et la sépara de cette dernière, qui se destinait à d'autres activités plus intéressantes que la garde d'enfant.
C'est à ses treize ans qu'elle rencontra Richard ; petit garçon malingre souvent à la traîne, elle s'était prise d'affection pour lui. Petit à petit, elle s'était imposée comme une amie sûre et fidèle, qui le menait néanmoins par le bout du nez. C'était sans doute avec lui qu'elle avait appris à s'affirmer, se forgeant alors un caractère similaire à celui de sa grande sœur. Les autres enfants s'étaient alors intéressés à eux, attirés par ce regain d'autorité qui la différenciait des autres… Rich ne s'était jamais plaint de sa position ; avoir l'amitié et la protection de Morgane lui suffisait à l'époque, et malgré le caractère tout à fait étonnant de leur relation, ils avaient tout deux forgé des liens solides qui demeuraient encore intacts aujourd'hui.
La jeune fille réservée qu'elle était tantôt devint alors une véritable teigne, crainte des professeurs pour son bagout et son côté bout-en train. Elle fut de nombreuses fois punie, exclue de l'école quelques jours, sans pour autant présenter des résultats catastrophiques : Morgane ne s'était jamais donné la peine d'être une bonne élève, même si elle en avait les capacités. Travailler derrière un bureau l'avait bien vite lassée, et comme Elvire, aux portes de l'adolescence, elle s'imaginait déjà à la barre de son propre navire, sillonnant mers et océans.
C'était aussi l'époque des premiers amours. Si Rich l'avait longtemps aimée en secret sans oser lui avouer, Morgane, quant à elle, avait un autre problème en tête. Ce n'était pas Rich qui suscitait chez elle l'émoi amoureux, mais plutôt sa petite voisine, qui répondait au doux nom de Cora. L'attirance qu'elle ressentait pour cette jeune humaine devenait une obsession qui la faisait terriblement souffrir ; elle ne confia ce secret à personne, ou presque… Sa sœur, qui était désormais embauchée en tant que pêcheuse sur un autre navire que celui de la famille, l'avait découvert par elle même le temps d'un week-end. Les tentatives d'approches de la jeune Atlante l'avaient trahie ; Cora était une enfant capricieuse, difficile à amadouer. Morgane lui offrait de jolies fleurs qu'elle trouvait sur les hauteurs de Minato, et en sa compagnie, perdait toute sa superbe pour devenir soumise et obéissante. L'humaine en jouait beaucoup, et le petit manège de sa sœur avec considérablement surpris Elvire qui n'avait pas mis longtemps à comprendre son origine. Elle n'en avait pas tout de suite parlé à sa cadette, préférant trouver les bons mots, et puis un soir, elle l'avait surprise appuyée contre le rebord de la fenêtre de leur chambre, toute triste. C'était là qu'elle avait abordé le sujet.
Au jour d'aujourd'hui, Morgane s'en souvenait encore très distinctement. C'était comme un tournant… Un moment clé de son existence ; ce soir-là, elle avait su qu'elle pourrait toujours compter sur sa grande sœur, et que ce secret qu'elle réprimait depuis déjà trop longtemps n'était pas une honte…
Malgré tout, Elvire lui déconseilla d'en parler aux autres, de peur que leurs réactions soient différentes. Morgane avait promis de ne pas le faire, et d'ailleurs, elle n'avait jamais trahi cette promesse. Enfin, pas vraiment. Seuls ses moussaillons savaient à présent, mais Rich et Marco faisaient partie de la famille,
sa famille, celle de cœur.
Au final, Cora n'avait pas voulu d'elle. Pas même en amie. Ç'avait été une grande déception, et l'Atlante se souvenait avoir eu le cœur brisé. Tant, qu'elle s'était retranchée sur Rich, certainement pour combler ce sentiment de solitude qui la faisait alors souffrir. Elle ne l'aimait pas, mais avait trouvé agréable de partager quelques mois d'intimité avec lui, sans pour autant trouver son comportement acceptable. Des années plus tard, elle regrettait encore d'avoir si bêtement cédé aux avances du garçon et d'avoir joué avec son petit cœur. Elle lui avait volé ses premières fois, elle les avait elle-même perdues… Voilà à quoi pouvait vous mener l'amour déçu.
Son camarade ne lui avait pourtant jamais reproché ses actes ; elle s'était excusée, il lui avait pardonnée. Ça s'était arrêté là.
Il y avait eu une période de creux. Le calme plat, la vie qui suivait tranquillement son cours… Ce flottement parut étrange à la jeune fille, elle s'en souvenait. Comme si quelque chose se tramait dans l'ombre, quelque chose de grave.
Elle avait désormais seize ans, venait de quitter l'école en ayant acquis le minimum de connaissances nécessaire à la vie de tous les jours, et cherchait un emploi. Sa mère, qui travaillait comme serveuse dans la taverne de la ville, était parvenue à la faire embaucher elle-aussi. Si Elvire avait tout de suite été recrutée pour partir en mer, personne n'avait voulu de Morgane. L'Atlante se rappelait avoir été terriblement jalouse de cet écart qu'il y avait entre elle et sa sœur. Elle n'admettait pas qu'on puisse la trouver moins douée, moins mature que cette dernière, même si c'était le cas.
À cette époque, la jeune fille avait perdu son meilleur ami de vue, et s'en trouvait peinée ; sa mère aimait lui dire qu'elle pourrait ainsi prendre un nouveau départ, faire la connaissance d'autres personnes, peut-être même trouver un mari qui conviendrait à son père… Elle faisait sûrement référence au jeune Atlante qui travaillait aussi à la taverne ; un grand gaillard aux cheveux bleu marine qui lui faisait souvent de l'œil. Son regard insistant lui donnait presque envie de vomir, et ce souvenir la faisait désormais sourire béatement.
Morgane ignora les recommendations de sa mère et les coups d'œil de son collègue. Elle n'avait d'yeux que pour une jolie fille qui venait prendre une chope de cervoise les vendredi soirs. Blonde, les yeux verts-gris, elle était toujours plongée dans un vieux manuscrit, studieuse. Elle se dépêchait pour prendre sa commande, et lui faisait parfois même cadeau d'un verre. Malheureusement, l'objet de tous ses désirs ne semblait pas s'intéresser à elle, et Morgane s'en trouvait bien souvent tout à fait désarçonnée… Jusqu'au jour où elle glissa sur les restes d'une boisson renversée un peu plus tôt dans la journée, répandant tout le contenu des commandes sur la robe bleu azur de sa cliente. Le rouge lui était si violemment monté aux joues que la jeune femme avait ravalé sa colère et avait même paru attendrie.
Au grand étonnement de Morgane, elle revint les jours suivants ; l'Atlante s'attela à se faire pardonner en lui offrant toujours plus de verres gratuits. Un soir, la jeune femme attendit la fin du service et se posta à l'extérieur ; lorsque Morgane sortit, elle lui demanda une cigarette. Elles parlèrent alors de tout et de rien, se donnèrent rendez-vous le soir suivant, et ainsi de suite…
Alors, une nuit, elle restèrent longtemps seules dehors, se racontant toute sorte d'anecdotes, aidées par une petite bouteille d'alcool que Morgane avait chapardé dans la cave de la taverne… Puis le silence s'était fait, elles avaient toute deux admiré l'océan, dévoré par l'obscurité… Elles avaient échangé un regard qui en disait long, et puis elles s'étaient embrassées.
Morgane se souvenait toujours du premier baiser partagé avec Abby, du goût sucré et musqué d'alcool que portait ses lèvres… Ç'avait été un moment magique qu'elle n'oublierait certainement jamais.
Son aventure avec Abby avait duré un bon bout de temps ; au début, tout était fabuleux. La naissance d'un premier véritable amour l'avait rendue moins teigneuse, plus douce et à l'écoute. Un véritable changement s'était opéré chez elle, encouragé par le caractère patient et généreux de sa compagne. Elles se voyaient tard, elles apprenaient à se connaître… Abby était une mage talentueuse, originaire de Baïren. Elle s'était retirée sur l'île pour un an ou deux. La perspective de son départ rendait Morgane malade, mais elle n'osait se l'avouer… Elle préférait se laisser porter par les moments partagés, pas les nuits passées ensemble, les ballades en bord de mer,…
Et puis un jour, quelque chose de terrible bouleversa leur couple, bouleversa la vie de l'Atlante, et celle de tous les habitants de Minato.
Elle venait alors d'avoir dix-sept ans. C'était une période faste. Cordélia au pouvoir, l'économie se portait mieux. Tant, que sa sœur s'était lancée dans une autre carrière que celle de pêcheuse. Tous les jours, elle descendait dans les tréfonds de l'océan pour y glaner quelques trésors qu'elle revendait à prix d'or. C'était son commerce, son gagne pain, et Morgane l'enviait beaucoup, sans pour autant se sentir capable d'accomplir les mêmes exploits. Il était bien connu que l'océan était peuplé de dangers… Sa sœur et d'autres Atlantes prenaient chaque jour des risques énormes, et elle les admirait tous pour leur courage sans borne…
Sa sœur faisait par ailleurs la fierté de la famille ; c'était une des meilleures chasseuses de trésors du coin. On disait qu'elle s'aventurait plus loin encore que les autres pour repérer des épaves vieilles de plus de mille ans, perdues dans les abysses.
Elle revint un jour avec de magnifiques anneaux en or massif, qu'elle offrit à Morgane pour son anniversaire. Ce genre de bijoux coûtait cher, trop cher pour être porté par une simple fille de pêcheurs. La jeune femme ne sut jamais comment la remercier, si ce n'est en les portant tous les jours.
Et puis, peu de temps après, Elvire disparut. Du jour au lendemain, plus personne n'eut de nouvelles. Mr Beemer fut le premier à lancer des recherches, rongé par l'inquiétude. Ce fut l'occasion pour Morgane de monter à bord d'un navire, mais, préoccupée, elle n'en tira aucun plaisir.
Elle effectua ces jours-ci ses plus longues virées en mer ; sillonnant l'océan, elle ne trouva rien, pas le moindre signe d'Elvire…
Alors que, quatre jours plus tard, tout le monde avait abandonné tout espoir de la retrouver, elle réalisa qu'elle venait de perdre l'une des personnes les plus chères à son cœur. Elle venait de perdre sa sœur, mais pourtant, elle ne parvenait pas à se figurer ce que cela signifiait. Et puis, il y avait toujours ce soupçon d'espoir qui la taraudait jour et nuit. Elle regardait l'océan et se disait : "elle est peut-être encore vivante. Non. Elle l'est, c'est sûr ! C'est Elvire, elle connaît l'océan comme sa poche… Elle n'aurait pas pu se laisser avoir ! Pas elle."
Mais, au bout d'une semaine, un navire étranger annonça avoir repêché un cadavre, qui flottait au large de Minato. Beaucoup se massèrent sur le quai où il jeta l'ancre. On entendit alors des acclamations de stupeur dans toute la ville… Ce furent eux qui alertèrent Morgane.
Elle se souvenait encore de ce frisson qui avait parcouru son échine, qui l'avait figée. Elle se souvenait de cette course effrénée qu'elle avait faite jusqu'au port, jusqu'à ce quai sur lequel elle n'osa plus jamais remettre les pieds. Elles se souvenait avoir poussé tous ces gens, tous ces idiots qui faisaient de la mort un spectacle morbide… Elle avait entraperçu des cheveux bleus, elle s'était mise à hurler pour qu'on la laisse passer, pour qu'on libère le passage…
Les larmes n'avaient pas voulu couler. Elles étaient restées suspendues à ses cils.
Morgane s'était alors transformée en statue de marbre, froide, éteinte. Quelque chose en elle venait de mourir alors qu'elle avait le cadavre de sa sœur sous les yeux. Le visage émacié d'Elvire, enlaidi par le sel, par l'eau, était tourné vers la foule. Ses yeux, vitreux, vides, paraissaient la fixer. Une main pantelante était ouverte vers elle. Elle lui tendait le bras, comme si elle l'implorait.
La suite était floue. Elle se rappelait juste avoir caressé le front de sa sœur, longtemps. Elle revoyait son père, arrivé en catastrophe, qui lui, n'avait pu retenir ses larmes. Sa mère, quant à elle, n'était pas venue, ne désirant pas voir le cadavre de sa fille. Elle s'était enfermée dans la chambre parentale un jour entier, ne laissant personne entrer.
Et puis la journée s'était terminée dans les bras d'Abby. Elle avait à nouveau tâché sa robe, mais cette fois-ci de ses larmes…
Elles étaient restées comme ça, enlacées, une grande partie de la nuit.
Morgane ne parvint jamais à faire le deuil de sa sœur. L'image de son corps la hantait encore, sa voix cristalline peuplait ses rêves les plus innocents…
Aussi, elle ne put se débarrasser de son chagrin aussi facilement que son père ; Abby en souffrit beaucoup, mais s'efforça de rester stoïque… Jusqu'au jour où elle lui annonça qu'elle partait pour Temnota, afin de reprendre ses études et devenir une mage d'exception. Ce fut le coup de grâce pour la jeune femme… Et sans doute celui qui lui aurait coûté la vie si elle n'avait pas miraculeusement croisé un visage familier dans la rue : Rich était réapparu, comme par magie, à point nommé.
Après quelques banalités échangée autour d'une cervoise, les vieilles habitudes refirent bien vite surface. Rich était parti pour la capitale à la fin de ses études ; il avait de la famille là-bas, ç'avait été assez simple de s'y faire une place. Après quelques années passées au service d'un restaurateur du coin, les quais et les odeurs de Minato lui avaient manqué : le désir de revoir sa ville natale l'avait emporté sur la tranquillité de son petit quotidien de commis de cuisine. Il avait tout abandonné pour revenir à ses racines, et était arrivé quelques jours plus tôt.
Il lui avait raconté ses gaffes des premiers mois, ses conquêtes, ses chagrins d'amour avec toute la franchise que leur permettait autrefois leur grande amitié ; il lui avait décrit la capitale, la vie qu'on y menait, la nouvelle reine, bien décidée à remettre le pays sur pied… Et puis, avec un grand sourire, cet homme qui était devenu si grand, si mature, si assuré, avait invité sa vieille amie à lui faire à son tour part de sa vie, de ses expériences. Le travail en tant que serveuse, sa rencontre avec cet "homme", sa relation, sa rupture encore récente… Et puis la mort de sa sœur, déjà lointaine, mais encore douloureuse ; tant, que lui en parler avait été un déchirement. Rich avait compris sa détresse : il lui avait payé un autre verre en signe de compassion, un verre d'alcool fort cette fois-ci, comme pour faire passer la pilule.
Alors, lorsqu'ils étaient sortis, Morgane s'était avancée tout près des quais ; la nuit était tombée, elle ne voyait pas à cinq mètres devant elle. Elle s'était soudainement sentie perdue ; la solitude s'était abattue sur ses épaules, d'un seul coup, sans prévenir. Elle avait tout à coup réellement pris conscience de sa situation, de tout ce qui lui était arrivé. Une vérité terrible, qu'elle se cachait jusqu'à présent, l'avait écrasée. L'Atlante s'était effondrée, ses sanglots accompagnant le doux bruit de va-et-vient des vagues qui s'écrasaient sur les jetées. Rich l'avait alors prise dans ses bras, et ils étaient restés comme ça longtemps, seuls dans la nuit noire et le froid de ce début d'hiver.
Morgane s'était accrochée à Rich comme à une bouée qui pouvait la sauver à tout moment de la noyade. Chaque instant passé en sa compagnie chassait ses idées noires et lui rappelait le bon vieux temps. Leur amitié, refroidie par l'absence et l'éloignement, s'était peu à peu restaurée, pour devenir encore plus forte qu'au temps de l'adolescence. Il s'opérait comme une sorte de fusion entre leurs deux esprits, quelque chose de fort… Si fort que la jeune femme avait même décidé de rompre la promesse qu'elle avait faite quelques années plus tôt à sa sœur. Lorsque Rich avait appris son homosexualité, il ne s'en était pas offusqué. Il n'avait tout simplement pas réagi, ça n'avait rien changé… Il précisa tout de même qu'il "n'était pas étonné". Morgane prit cette déclaration comme une marque de son assentiment, et s'en contenta fort bien.
Tout deux travaillèrent un moment dans un petit équipage du coin, équipage de pêcheurs qui s'aventuraient un peu plus loin que les autres et passaient parfois quelques jours en mer. C'était la seule solution qu'avait trouvée Morgane pour pouvoir pardonner à l'océan de lui avoir pris sa sœur, faire le deuil certainement. Et puis, elle avait un projet en tête, projet qui quelques mois plus tard se concrétiserait malgré les diverses critiques. Son père allait bientôt être à la retraite, et cela faisait déjà quelques temps que son bateau restait amarré au port. L'Atlante voyait là une grande opportunité : un avenir radieux s'offrait à elle.
Rich lui avait une fois parlé de commerçants qui passaient les marchandises d'un continent à l'autre par voie maritime. Il avait aussi évoqué les contrebandiers qui permettaient les échange entre les royaumes malgré les tensions politiques qui régissaient les relations internationales.
Elle rêvait de ce métier… Ou plutôt, elle rêvait d'aventure, et cette profession semblait parfaitement appropriée à son envie de découverte du monde.
Aussi, elle attendit ses dix-neuf ans pour mettre les pieds dans le plat : lors d'un dîner, son père avait parlé de vendre le navire : Morgane s'y était opposée et, prenant son courage à deux mains, elle lui avait exposé son projet qu'elle concoctait depuis déjà quelques temps. Elle avait tout prévu, tout calculé, jusqu'à même aller à la rencontre de commerçants qui faisaient déjà passer leurs marchandises d'un pays à l'autre par l'océan. Elle avait sympathisé, proposé des marchés à l'avance, à ses risques et périls.
La réaction de Monsieur Beemer ne fut pas elle qu'elle avait escomptée ; il s'était montré très fermé au projet, très pessimiste… Il avait même refusé dans un premier temps, avant de dire que "de toute façon, le bateau ne valait rien et qu'il ne servait à rien de le vendre". Une manière d'accepter tout en montrant son profond désaccord.
Morgane s'était tout d'abord sentie vexée, piquée au vif, puis elle s'était rappelée les débats que tenait Elvire avec son père, et cela l'avait un tant soit peu réconforté. Les aprioris du vieux pêcheur étaient connus de tous et n'auraient pas dû la surprendre. Elle ne devait en aucun cas s'y arrêter.
Rich, quant à lui, fut son premier soutien, jusqu'à même démissionner de son travail pour se lancer dans le rafistolage du navire. Il n'abandonna pas Morgane une seule fois, malgré les coups de gueule et les périodes de découragement.
Ils firent leur premier voyage ensemble, celui qui lança les affaires de Mlle Beemer et de son équipage. Celui qui marqua le début d'une nouvelle histoire pour la jeune femme.
Se faire un nom au sein du milieu contrebandier et commerçant en tant qu'Atlante et surtout en tant que femme ne fut pas chose facile. Morgane usa de son autorité, de ses charmes, parfois de son côté impitoyable et rancunier pour s'en sortir et se faire une place. Elle n'hésita pas à écraser les plus faibles pour monter en grade, à descendre par n'importe quels moyens ceux qui s'opposaient à elle.
Elle était parvenue à ses fins. Elle les avait fait taire… Il en restait pourtant quelques-uns, encore à ce jour, qui continuaient de l'embêter, de la provoquer : une véritable bataille navale s'était engagée entre eux sur la scène commerçante, de quoi en perdre la tête.
Engager Marco, un ou deux ans plus tard, avait finalement permis à l'équipage Beemer d'améliorer ses transactions et sa performance.
À présent, il fallait prendre garde à ne pas se laisser attraper. On surveillait les routes maritimes, on interceptait des marchandises interdites, on emprisonnait les contrebandiers… Certains disparaissaient.
C'était un défi que Morgane se sentait de relever : un défi parmi tant d'autres, qui avait pourtant une saveur particulière. Il lui rappelait au combien le monde était instable et au combien les années à venir seraient dures et impitoyables.
Elle se devait de s'accrocher. Pour sa sœur, pour toutes les espérances qu'elle avait autrefois placées en elle.
Lun 8 Oct - 22:52 par Ayden Q. Campbell
» Référencement des pouvoirs
Lun 8 Oct - 22:10 par Kae Tsuna
» Référencement des avatars
Lun 8 Oct - 22:01 par Kae Tsuna
» Tsuna Kae [Terminé]
Lun 8 Oct - 19:55 par Le Gardien
» Richard Hawkes [en cours]
Dim 7 Oct - 15:23 par Morgane K. Beemer
» Morgane K. Beemer • L'éperon du navire ouvre nos champs d'azur
Mer 3 Oct - 21:40 par Le Gardien
» Shiro T. Nanashi
Lun 24 Sep - 22:51 par Morgane K. Beemer
» Ayden Q. Campbell
Lun 3 Sep - 19:39 par Le Gardien